Le 17 avril 2025, dans le quartier de Jakata à Saint-Laurent-du-Maroni, en Guyane française, un enfant de 9 ans s’est donné la mort. La raison ? Selon les premiers éléments de l’enquête, sa mère lui aurait confisqué son téléphone portable.
Ce fait divers glaçant, relayé par plusieurs médias, dépasse la simple anecdote tragique. Il est le reflet d’une époque. D’une société en perte de repères où les enfants grandissent dans un monde saturé d’écrans, de stimulations numériques et d’isolement émotionnel.
Des enfants nés connectés
Les enfants d’aujourd’hui sont les premiers à naître dans un environnement totalement digitalisé. Ils manipulent une tablette avant même de savoir lire. Ils communiquent par messagerie vocale avant de maîtriser l’écriture. Et pour beaucoup, leur vie virtuelle a autant d’importance, voire plus que leur réalité tangible.
Un téléphone, pour un enfant de 9 ans, ce n’est plus un simple objet de divertissement. C’est une fenêtre sur le monde. Un outil de lien social, un espace de reconnaissance, une échappatoire face aux angoisses. Lorsqu’on le leur retire brutalement, ce n’est pas juste une punition : c’est parfois une fracture, un effondrement.
Le numérique comme refuge émotionnel
Le monde numérique peut devenir un refuge pour des enfants qui peinent à trouver leur place dans le réel. Jeux, vidéos, réseaux sociaux adaptés aux jeunes, plateformes de messagerie… tout est conçu pour capter leur attention, nourrir leur dopamine, et leur offrir une forme de contrôle sur leur environnement.
Mais cette emprise, lorsqu’elle devient trop forte, remplace peu à peu les repères affectifs et humains. L’écran devient une béquille émotionnelle. Et quand cette béquille est retirée, sans préparation ni accompagnement, la chute peut être brutale. Parfois, irréversible.
Les signaux faibles, souvent ignorés
Avant d’en arriver à l’acte ultime, un enfant traverse souvent des états de détresse invisibles. Tristesse, isolement, agressivité soudaine, baisse de motivation… Ces signaux faibles sont parfois perçus, mais rarement pris au sérieux, surtout chez les plus jeunes. Parce que l’on croit encore, à tort, qu’un enfant de 9 ans ne peut pas être dépressif, ne peut pas penser à la mort.
Or, les chiffres parlent. Selon l’OMS, la santé mentale des enfants est en déclin depuis plusieurs années. L’anxiété, la dépression, les troubles de l’attention explosent. Et dans les territoires isolés comme la Guyane, où les structures de soutien psychologique sont rares, les enfants vulnérables se retrouvent souvent seuls face à leurs démons intérieurs.
Des parents désarmés
Dans cette tragédie, la mère n’est pas à blâmer. Elle a probablement voulu éduquer, poser une limite. Mais comment faire, quand on se bat contre des géants numériques qui connaissent mieux nos enfants que nous-mêmes ? Quand l’algorithme leur parle plus souvent que leur famille ? Quand chaque seconde passée sur un écran est pensée pour les retenir, les captiver, les façonner ?
Les parents se sentent dépassés. Ils n’ont ni les outils, ni les ressources, ni parfois même le temps de lutter contre l’addiction numérique. Ils veulent bien faire, mais n’ont pas été préparés à ce monde-là. L’éducation traditionnelle ne suffit plus. Il faut inventer de nouveaux repères, de nouvelles formes de dialogue.
Que dit cette tragédie de notre époque ?
Ce drame pose des questions existentielles et dérangeantes.
- Sommes-nous en train de déléguer l’éducation émotionnelle de nos enfants aux écrans ?
- À force de courir après le progrès, avons-nous oublié de protéger l’essentiel ?
- Pourquoi la solitude gagne-t-elle si tôt le cœur des enfants ?
- Que vaut une société où un téléphone peut devenir un outil de survie pour un enfant de 9 ans ?
Ce ne sont pas des questions à balayer. Elles doivent nous traverser. Nous remettre en question. Individuellement, collectivement. À l’école, dans les familles, dans les politiques publiques.
Vers une prise de conscience nécessaire
Ce qu’il s’est passé à Saint-Laurent-du-Maroni doit être un électrochoc. Un appel à recréer du lien. À ralentir. À regarder nos enfants autrement. À ne pas les réduire à des notes, à des comportements, à des écrans.
Il faut recréer des espaces sans Wi-Fi mais pleins de vie. Réintroduire des rituels de partage, des moments de jeu, des discussions sans jugement. Encourager l’expression des émotions dès le plus jeune âge. Et surtout, écouter. Écouter vraiment.
Et maintenant ?
Chaque parent, chaque éducateur, chaque adulte a un rôle à jouer. Ce n’est pas en supprimant les écrans que nous sauverons nos enfants. C’est en étant là. En leur montrant qu’ils comptent, même quand ils ne vont pas bien. En leur apprenant à traverser les tempêtes émotionnelles. À trouver en eux et non dans un téléphone, leur valeur.
Ce drame ne doit pas être un fait divers de plus. Il doit être un tournant. Une prise de conscience collective. Parce qu’aucun enfant de 9 ans ne devrait croire que la vie n’a plus rien à lui offrir.
Pour approfondir cette réflexion sur les illusions numériques, découvrez l’ouvrage de Moïse Inandjo, Le mirage des réseaux sociaux, disponible sur le site Carré Culturel.
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