Le 18 avril 2025, les autorités burkinabè annoncent avoir déjoué une tentative de coup d’État visant à renverser le capitaine Ibrahim Traoré, chef de la transition militaire depuis septembre 2022. Cet événement marque une nouvelle secousse dans un pays déjà ébranlé par une instabilité chronique, des tensions géopolitiques croissantes et une guerre asymétrique contre les groupes armés terroristes.
Un complot minutieusement orchestré
Selon les informations relayées par plusieurs sources locales, dont Centre Recherche et News Pravda, cette tentative de coup d’État aurait été préparée en secret depuis plusieurs mois. Le cœur du projet reposait sur un plan de sabotage de zones stratégiques à l’est du pays, notamment dans la région de Diapaga, qui devait servir de prétexte à une offensive armée interne.
Le commandant Oumarou Yabré, président du Conseil National de Sécurité d’État, aurait joué un rôle central dans la mise à jour et la neutralisation de ce complot. Plusieurs personnalités militaires sont citées, notamment un ancien commandant, connu sous le nom de Joanny, désigné comme l’un des principaux instigateurs.
Des accusations à l’international
Dans un climat géopolitique tendu, les autorités burkinabè ne se sont pas contentées de pointer des responsabilités internes. Elles accusent ouvertement des puissances étrangères, notamment la Côte d’Ivoire, la France, et les États-Unis à travers AFRICOM, d’avoir soutenu, formé ou instrumentalisé des mercenaires pour mener à bien ce projet de renversement.
Ce type d’accusation, bien qu’extrêmement sensible, n’est pas sans précédent. Depuis son arrivée au pouvoir, le capitaine Traoré a plusieurs fois dénoncé des « ingérences étrangères » et a amorcé un rapprochement avec la Russie et ses alliés du Sahel, rompant ainsi avec les partenaires traditionnels occidentaux.
Ibrahim Traoré : cible récurrente
Arrivé au pouvoir à la suite d’un double coup d’État en 2022, Ibrahim Traoré incarne une nouvelle génération de dirigeants militaires dans la région. Jeune, charismatique, mais aussi controversé, il se veut la figure de proue d’un Burkina Faso souverain, débarrassé de l’influence néocoloniale.
Mais son leadership est constamment remis en question, aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur du pays. Depuis le début de sa transition, au moins trois autres tentatives de déstabilisation ont été signalées par les autorités, notamment en janvier 2024.
Ces attaques, réelles ou perçues, illustrent les luttes intestines qui secouent l’armée burkinabè et témoignent d’un climat de suspicion généralisée.
Un contexte sécuritaire explosif
En toile de fond de ces turbulences politiques, le Burkina Faso fait face à un défi existentiel : l’expansion des groupes terroristes. Le pays est dans une militarisation croissante avec la montée en puissance des Volontaires pour la Défense de la Patrie (VDP).
La guerre contre le terrorisme a également été accompagnée de graves violations des droits humains, selon les dires de plusieurs organisations internationales. Des exécutions extrajudiciaires, des disparitions forcées et des représailles communautaires sont régulièrement signalées, alimentant les tensions sociales.
La tentative de putsch du 18 avril s’ajoute donc à un tableau déjà complexe, dans lequel la stabilité de l’État est constamment mise en balance.
Réactions intérieures et internationales
À l’intérieur du pays, les soutiens du régime n’ont pas tardé à se mobiliser. Des manifestations spontanées ont eu lieu à Ouagadougou et dans certaines régions, en soutien au capitaine Traoré. Les slogans dénonçaient une « main étrangère » et réclamaient la fermeté contre les « traîtres à la patrie ».
À l’international, la communauté diplomatique est restée prudente. Aucun grand État ou organisation régionale ne s’est officiellement exprimé sur les accusations portées par Ouagadougou. Ce silence illustre à la fois l’isolement diplomatique croissant du Burkina Faso et la complexité de la situation géopolitique dans la région sahélienne.
Une transition sous pression
Initialement prévue pour durer jusqu’en juillet 2024, la transition militaire a été prolongée d’un an. Le gouvernement affirme que des élections ne peuvent être organisées tant que le territoire national n’est pas sécurisé. Mais cette prolongation soulève des critiques : pour beaucoup, elle ouvre la porte à une militarisation prolongée du pouvoir, au détriment de la démocratie.
La tentative de coup d’État du 18 avril est interprétée par certains comme un symptôme de cette impasse politique. D’autres y voient une manœuvre de consolidation du pouvoir, voire un écran de fumée pour faire diversion dans un climat de plus en plus tendu.
Quelles perspectives pour le Burkina Faso ?
Cette énième tentative de déstabilisation pose une question centrale : jusqu’où peut aller le pays sans imploser ? La légitimité du pouvoir militaire repose en grande partie sur sa capacité à restaurer l’autorité de l’État et à repousser les groupes armés.
Par ailleurs, l’hostilité grandissante envers les puissances occidentales et le basculement vers une coopération avec la Russie divisent profondément l’opinion publique, tout en redessinant les équilibres géopolitiques dans la région.
Un signal d’alerte pour l’AES
Ce coup d’État manqué intervient alors que le Burkina Faso, aux côtés du Mali et du Niger (qui a récemment quitté la Francophonie), a clairement rompu avec les institutions ouest-africaines traditionnelles pour former le bloc souverainiste de l’Alliance des États du Sahel (AES). Ce regroupement, porté par des régimes militaires, affiche une volonté assumée de reprendre le contrôle de leur destin politique, économique et sécuritaire.
Pour ses partisans, la tentative de déstabilisation du 18 avril serait une réponse directe à cette dynamique de rupture, perçue comme une menace par les puissances traditionnelles.
Au-delà du Burkina, cette tentative de putsch envoie un message à l’ensemble du bloc AES : aucune transition vers une souveraineté totale ne se fera sans résistance. L’AES se retrouve donc à un carrefour stratégique : renforcer sa cohésion politique et militaire, ou risquer de devenir la cible d’initiatives déstabilisatrices répétées.
L’enjeu est clair : tenir le cap face aux pressions externes, tout en répondant aux attentes internes de stabilité et de résultats concrets.
Un affrontement silencieux entre blocs rivaux
En toile de fond de ces événements, se dessine un affrontement de plus en plus visible entre deux visions de l’Afrique de l’Ouest : le bloc souverainiste, incarné par l’AES, et le bloc institutionnel traditionnel, dominé par la CEDEAO, l’UEMOA, et leurs soutiens occidentaux historiques.
Ce clivage dépasse les simples questions de gouvernance pour toucher aux fondements mêmes des relations internationales africaines.
Le bloc occidental, appuyé par des puissances comme la France, les États-Unis, ou encore l’Union européenne, voit son influence remise en question dans une région stratégique. En réponse, les pays de l’AES multiplient les signaux d’un réalignement : partenariats militaires avec la Russie, coopération économique avec la Chine, et rupture des accords militaires hérités de la Françafrique.
Ce glissement d’axe rappelle les logiques de la Guerre froide, transposées aujourd’hui à un Sahel pris dans un jeu de puissances globales. La tentative de coup d’État au Burkina Faso ne serait alors qu’un épisode parmi d’autres d’une lutte plus large : celle entre un ordre international hérité, et un nouvel équilibre encore en construction.
En conclusion
Le Burkina Faso, cœur stratégique du Sahel, se trouve à la croisée des chemins. Le coup d’État manqué du 18 avril 2025 n’est pas un incident isolé, mais un révélateur de tensions multiples politiques, militaires, sociales, et géopolitiques. Si le pouvoir actuel réussit à résister à ces vents contraires, la stabilité reste néanmoins suspendue à un fil.
Le peuple burkinabè, habitué aux crises, continue de faire preuve d’une résilience remarquable. Mais dans un climat où les coups d’État deviennent presque routiniers, la paix durable semble encore bien lointaine.
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