Le 3 mai 2025 marque un moment singulier dans l’histoire politique du Togo. Ce jour-là, Jean-Lucien Savi de Tové, âgé de 86 ans, a été élu président de la République par le Parlement togolais, devenant ainsi le premier chef d’État de la Cinquième République.
Cette élection intervient à la suite d’une révision constitutionnelle adoptée en 2024, qui a modifié en profondeur le système institutionnel du pays en instaurant un régime parlementaire. Le rôle du président est désormais essentiellement représentatif, tandis que le pouvoir exécutif effectif revient au président du Conseil des ministres.
Derrière ce changement, une nouvelle architecture se dessine. Mais comme souvent dans les transitions politiques, les apparences et les équilibres institutionnels méritent d’être examinés avec attention.
Un parcours politique inscrit dans le temps
Jean-Lucien Kwassi Lanyo Savi de Tové est une figure connue du paysage politique togolais. Né le 7 mai 1939 à Lomé, juriste formé à l’université de Bordeaux, il débute sa carrière publique dès les années 1960. Dès 1967, il devient secrétaire général du ministère des Affaires étrangères, amorçant une trajectoire mêlant administration, diplomatie, engagement politique et participation aux dialogues nationaux.
Tout au long de son parcours, il aura incarné une forme de constance républicaine, intervenant dans divers gouvernements et contribuant à plusieurs processus de concertation nationale. Il est également l’un des acteurs de la société civile à avoir pris part aux Conférences nationales souveraines des années 1990.
À 86 ans, sa présence à un sommet de l’État peut être perçue comme le reflet d’un ancrage profond dans la mémoire politique du pays, mais elle pose également la question de la représentation générationnelle dans une société où une majorité de la population est jeune.
Une désignation dans le cadre d’une réforme institutionnelle
L’élection du président Savi de Tové s’est déroulée dans un cadre constitutionnel inédit. La Cinquième République, mise en place par la révision de 2024, a introduit un régime parlementaire où le président de la République n’est plus élu au suffrage universel direct, mais désigné par les députés pour un mandat unique de six ans.
Cette réforme entendait marquer une rupture avec les pratiques antérieures, souvent perçues comme sources de tensions politiques. Elle introduit une séparation plus nette entre la fonction de représentation nationale, désormais incarnée par le président, et la gestion de l’exécutif, confiée au président du Conseil des ministres.
Le choix de Jean-Lucien Savi de Tové par l’Assemblée nationale a été perçu, non comme une rupture ou une véritable nouveauté, mais plutôt comme la continuité d’une ligne connue, portée par une personnalité à la réputation d’équilibre et au parcours transversal.
Une nouvelle répartition des rôles au sommet de l’État
La Constitution révisée redéfinit les rôles respectifs au sommet de l’État. Le président de la République représente le pays à l’international, promulgue les lois, accrédite les ambassadeurs et veille au respect de la Constitution.
Toutefois, les décisions politiques et économiques, ainsi que la gestion quotidienne du pays, relèvent désormais du président du Conseil des ministres, désigné par le Parlement.
Cette architecture, inspirée des modèles parlementaires, suppose une distinction nette entre légitimité symbolique et pouvoir opérationnel. Elle reflète une volonté de modernisation des institutions. Mais sa mise en œuvre soulève certaines interrogations : cette séparation des rôles reflète-t-elle une transition équilibrée des pouvoirs ou s’agit-il d’un ajustement stratégique dans la continuité politique du pays ?
Une continuité dans l’exercice de l’autorité exécutive
La désignation, par les députés, de Faure Gnassingbé au poste de président du Conseil des ministres vient compléter le tableau de cette nouvelle répartition institutionnelle. Ancien chef de l’État depuis 2005, son arrivée à cette fonction s’inscrit dans la continuité de son engagement politique.
Dans le nouveau cadre, il assume les responsabilités exécutives majeures du pays, sans être directement lié à un mandat présidentiel.
La nouvelle configuration constitutionnelle ne prévoit pas de limitation de durée pour le poste de président du Conseil, contrairement à celui de président de la République. Cette asymétrie institutionnelle peut interpeller, notamment dans un contexte où la stabilité du pouvoir politique demeure une constante depuis plusieurs décennies.
Ce glissement des fonctions pourrait être interprété, par certains observateurs, comme une redistribution formelle des rôles plus qu’un changement en profondeur de l’exercice du pouvoir. Une perception que chacun appréciera selon sa lecture du moment politique.
Un équilibre entre symbole, mémoire et représentation
Dans ce nouveau paysage, Jean-Lucien Savi de Tové apparaît comme une figure de rassemblement, porteuse d’une mémoire institutionnelle et d’un engagement au long cours. Son élection peut être vue comme un hommage à une carrière politique cohérente, marquée par un certain sens de la continuité républicaine.
À travers son profil, c’est peut-être aussi un message de stabilité qui est envoyé, à un moment où les mutations politiques nécessitent un point d’ancrage moral et institutionnel. Dans ce rôle, sa fonction pourrait évoluer selon sa posture personnelle : celle d’un garant discret, ou d’un acteur plus présent dans la vie institutionnelle et morale du pays.
Une transition à observer dans le temps
La mise en place de la Cinquième République togolaise s’annonce comme une étape importante. Elle traduit une volonté de réforme, de redistribution des fonctions, et de réorganisation de la vie politique nationale.
Mais elle laisse également en suspens plusieurs interrogations : quelle sera la réalité du pouvoir dans ce nouveau système ? Quelles marges de manœuvre pour les contre-pouvoirs ? Quelle dynamique pour l’alternance, désormais recentrée sur le Parlement ?
La nouvelle configuration institutionnelle ne se prête ni à l’enthousiasme naïf ni au scepticisme systématique. Elle appelle à une lecture nuancée, attentive aux détails, et ouverte sur l’évolution dans le temps.
Le Togo entre dans une période où l’observation, la participation citoyenne et la transparence seront déterminantes pour donner du contenu à ces changements.
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