Le 2 mai 2025, Victoire Tomégah-Dogbé a officiellement remis sa démission de la primature togolaise entre les mains du président Faure Gnassingbé. Cette annonce, bien que prévisible, marque un tournant décisif dans l’histoire politique du Togo.
Elle s’inscrit dans le sillage d’une réforme institutionnelle majeure : le passage du régime présidentiel à un régime parlementaire. Plus qu’un simple remaniement de personnel, cette démission est le symptôme d’une refonte en profondeur des structures de gouvernance.
Une première ministre de rupture
Nommée en septembre 2020, Victoire Tomégah-Dogbé fut la première femme à occuper le poste de Premier ministre au Togo. Figure montante du parti au pouvoir, l’Union pour la République (UNIR), elle incarnait un vent de modernité dans un paysage politique longtemps dominé par les figures masculines.
Son mandat fut marqué par la gestion de la crise sanitaire due à la Covid-19, la relance économique à travers le Plan National de Développement (PND), ainsi qu’une volonté affichée de renforcer la transparence et la participation citoyenne.
Malgré ces efforts, son passage à la tête du gouvernement n’a pas été exempt de critiques, notamment sur l’efficacité des politiques sociales et la lenteur des réformes structurelles. Toutefois, sa démission n’est pas le résultat d’un échec politique ou d’une crise de confiance, mais bien une conséquence directe du changement de régime instauré par la nouvelle Constitution.
Elle laisse derrière elle un héritage contrasté, mais qui aura contribué à poser les jalons d’une gouvernance plus inclusive.
La fin d’une ère : du régime présidentiel au régime parlementaire
Adoptée en avril 2024, la nouvelle Constitution togolaise bouleverse l’équilibre des pouvoirs. Le pays abandonne le régime présidentiel fort qui était en vigueur depuis l’indépendance, pour un modèle parlementaire où le pouvoir exécutif est exercé par un président du Conseil des ministres, désigné par l’Assemblée nationale.
Le chef de l’État, quant à lui, voit son rôle se limiter à une fonction symbolique et honorifique, inspirée des modèles de monarchie constitutionnelle ou de la Ve République parlementaire.
Historiquement, le régime présidentiel togolais avait concentré entre les mains du chef de l’État des pouvoirs étendus : nomination du gouvernement, définition de la politique nationale, contrôle de l’administration, du système judiciaire et des forces de sécurité.
Cette concentration avait souvent été dénoncée par l’opposition et la société civile comme un frein à la démocratisation. Le nouveau système entend corriger ces déséquilibres.
Ce basculement vers un régime parlementaire est présenté comme une réponse aux attentes de démocratisation exprimées par une partie de la population et par certains partenaires internationaux. Il vise à renforcer la collégialité de l’action gouvernementale, à réduire les risques de personnalisation du pouvoir et à instaurer un meilleur contrôle parlementaire de l’exécutif.
Qu’est-ce qu’un régime parlementaire ?
Le régime parlementaire se caractérise par une interdépendance des pouvoirs exécutif et législatif. Le chef du gouvernement (ici le président du Conseil des ministres) est issu de la majorité parlementaire et peut être renversé par une motion de censure.
Il est donc politiquement responsable devant l’Assemblée nationale. Le chef de l’État, dépourvu de pouvoir exécutif réel, remplit un rôle d’arbitre ou de représentant de l’unité nationale.
Ce modèle est en vigueur dans plusieurs démocraties stables à travers le monde : le Royaume-Uni, le Canada, l’Inde ou encore l’Allemagne. Il permet une plus grande stabilité politique dans la mesure où le gouvernement est issu du Parlement, et donc adossé à une majorité clairement identifiée.
Il favorise aussi un meilleur arbitrage entre les pouvoirs, car le gouvernement reste exposé à la critique permanente de l’opposition parlementaire.
Dans ce cadre, la légitimité politique se déplace de l’élection présidentielle à l’élection législative. Ce sont les députés qui désignent le véritable chef de l’exécutif. Le système favorise ainsi une plus grande représentativité, une meilleure articulation entre la volonté populaire et la conduite des affaires publiques, et une responsabilisation accrue des décideurs.

Les implications pour la gouvernance togolaise
La démission de Victoire Tomégah-Dogbé n’est donc que la première étape visible de cette transition. Dans les prochaines semaines, un président du Conseil sera élu par l’Assemblée nationale. Ce changement a plusieurs implications majeures :
- Redistribution du pouvoir : Le centre de gravité du pouvoir politique se déplace vers le Parlement. Les équilibres internes à l’Assemblée deviendront déterminants pour la formation du gouvernement et la définition des politiques publiques.
- Rôle renouvelé des partis politiques : Les formations politiques devront renforcer leur ancrage et leur discipline interne pour influencer efficacement le jeu parlementaire. Le poids des coalitions deviendra crucial, tout comme la capacité à construire des compromis durables.
- Renforcement de la redevabilité : Le chef de l’exécutif étant directement issu de la majorité législative, il devra rendre compte de son action plus fréquemment. Cela pourrait accroître la transparence et la qualité du débat public. Les sessions parlementaires devront devenir de véritables arènes de discussion où les grandes orientations de l’État sont débattues.
- Nouvelle lecture de la fonction présidentielle : Faure Gnassingbé, longtemps au centre du pouvoir, devra endosser un rôle plus protocolaire. Une transformation qui, si elle est pleinement assumée, pourrait permettre de clore le cycle de la présidentialisation extrême du pouvoir. Cela suppose également une redéfinition de la place de l’ancien président dans le champ politique et symbolique national.
Réactions politiques et perspectives
La démission de Victoire Tomégah-Dogbé n’a pas laissé la classe politique indifférente. Du côté de l’Union pour la République (UNIR), la formation présidentielle, les responsables saluent « un geste républicain et conforme à l’esprit de la nouvelle Constitution ».
Plusieurs cadres du parti ont exprimé leur confiance quant à la capacité de la nouvelle architecture institutionnelle à « renforcer la stabilité et l’efficacité de l’action publique ».
Dans l’opposition, les réactions sont plus nuancées. Si certains partis saluent un “pas dans la bonne direction”, d’autres dénoncent un changement de façade. Pour Nathaniel Olympio, figure de la contestation, « la transition parlementaire ne produira ses effets que si elle s’accompagne d’un vrai pluralisme, et non d’un recyclage du même système sous une autre forme ».
La société civile, quant à elle, appelle à la vigilance. Des organisations comme le CACIT ou le WANEP-Togo demandent que la nouvelle gouvernance s’accompagne d’un renforcement des libertés publiques, d’une réforme électorale inclusive et de mécanismes réels de contrôle citoyen.
Quelques chiffres clés sur le mandat de Tomégah-Dogbé
- Croissance économique : Le Togo a connu un rebond post-Covid avec un taux de croissance de 6,3 % en 2023 selon la BCEAO.
- Réformes sociales : Plus de 600 000 ménages ont bénéficié de programmes de transferts monétaires dans le cadre de la politique d’inclusion.
- Digitalisation : Le lancement de l’identité biométrique et de plusieurs plateformes publiques a renforcé l’e-administration.
- Classement Doing Business : Le Togo est passé de la 137e à la 97e place entre 2020 et 2023.
Ces indicateurs, bien que discutés, montrent une volonté de transformation du modèle administratif, même si les résultats restent à consolider.
Et maintenant ?
La prochaine étape est l’élection du président du Conseil par les députés. Selon plusieurs analystes, cette désignation devrait se faire dans un délai relativement court pour éviter une vacance prolongée du pouvoir exécutif. Parmi les profils évoqués, des figures expérimentées proches du pouvoir mais aussi, potentiellement, des technocrates plus consensuels.
Ce choix sera scruté comme un signal : le régime parlementaire sera-t-il l’occasion d’un véritable renouvellement ou simplement une redistribution du pouvoir au sein de l’élite en place ? Une question à laquelle seuls les actes du futur exécutif répondront.
Conclusion
La démission de Victoire Tomégah-Dogbé, loin d’être un épisode isolé, s’inscrit dans un processus plus vaste de mutation institutionnelle. Elle ouvre la voie à une nouvelle étape de l’histoire politique du Togo, faite de défis mais aussi d’opportunités. La réussite de cette transition parlementaire dépendra de la capacité des acteurs à jouer le jeu de la concertation, de la transparence et de l’intérêt général.
Dans un pays où la confiance entre gouvernants et gouvernés reste fragile, ce changement de paradigme ne pourra produire ses effets que s’il s’accompagne d’une véritable volonté politique de rupture avec les pratiques du passé.
Il appartient aux nouvelles institutions, et au futur président du Conseil, de donner corps à cette ambition. Si le processus est mené à terme, le Togo pourrait servir de laboratoire institutionnel en Afrique de l’Ouest, montrant la voie vers une gouvernance plus pluraliste et responsable.
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