Lorsque la famille d’Amivy s’installa à Agbelouvé, le village entier ne tarda pas à remarquer l’étrange particularité de la fillette: La fille sans cheveux.
Elle était belle, d’une beauté qui frappait par sa douceur et sa délicatesse. Mais il y avait un détail impossible à ignorer : pas un seul cheveu sur sa tête. Pas de sourcils, ni cils. Rien. Aucune trace de pilosité sur son corps.
Très vite, les rumeurs se propagèrent.
— Elle se rase exprès, c’est un rituel étrange.
— Ses parents veulent éloigner les hommes.
— C’est peut-être une malédiction.
Tout le monde avait une théorie, mais personne n’osait poser la question à la principale concernée. Pourtant, à son insu, Amivy devint le sujet central de toutes les discussions du quartier.
Elle était devenue La Fille Sans Cheveux, un mystère ambulant, un phénomène qui fascinait autant qu’il effrayait.
Un premier jour sous tension
La rentrée au collège d’Agbelouvé fut une épreuve. Dès qu’elle pénétra dans la cour de l’établissement, les regards se figèrent sur elle.
Les élèves s’échangeaient des coups de coude, des chuchotements, des ricanements. Certains plus audacieux commentèrent à voix haute :
— Regarde son crâne ! On dirait un ballon !
— Elle croit qu’elle est un moine ou quoi ?
— Peut-être qu’elle cache quelque chose…
Les professeurs eux-mêmes, bien que plus discrets, ne purent s’empêcher d’être intrigués. Certains laissèrent même échapper des remarques légères mais piquantes, croyant détendre l’atmosphère :
— Mademoiselle Amivy, ne prenez pas froid, hein ?
La fille sans cheveux restait de marbre. Elle ne réagissait jamais. Elle avait appris à encaisser, ignorer, et avancer.
Ce n’était pas la première fois. À chaque déménagement, c’était la même histoire. Les mêmes rumeurs. Les mêmes moqueries.
Le silence devint son arme.
Mais plus elle affichait de l’indifférence, plus ses camarades redoublaient d’efforts pour la piquer au vif. Ils inventaient des rumeurs plus cruelles, cherchant une réaction.
Mais elle restait de marbre.
L’amitié inattendue
Si Amivy s’était habituée à la solitude, une personne brisa ce mur.
Awa, une élève de sa classe, d’origine peule, ne la regardait pas comme les autres.
Dès le premier trimestre, elles devinrent inséparables. Elles faisaient leurs devoirs ensemble, allaient chercher de l’eau, passaient des après-midis entières à discuter.
Mais cette amitié mit Awa en difficulté.
Elle était assaillie de questions.
— Pourquoi ta copine n’a pas de cheveux ?
— Est-ce qu’elle est malade ?
— Sa famille pratique des choses bizarres ?
Au début, Awa se contenta d’ignorer. Mais les interrogations se firent pressantes, oppressantes.
Un jour, elle craqua.
Alors qu’elles étaient ensemble dans la cour du collège, penchées sur un devoir de groupe, Awa prit une grande inspiration et dit :
— Amivy, je t’adore et ta vie privée ne me regarde pas. Mais je subis trop de pressions. Les autres me harcèlent avec des questions sur toi. Depuis des semaines, je tiens bon, mais là, je n’en peux plus. Je ne veux pas que tu croies que je doute de toi… mais je veux comprendre. Je veux qu’ils me laissent tranquille.
Un silence.
Un long silence.
Puis, Amivy leva les yeux vers son amie. Son regard était calme, mais une lueur indéfinissable y brillait.
Elle souffla doucement :
— Tu n’as rien à leur répondre. Même moi, je n’ai pas d’explication à leur donner.
Awa fronça les sourcils.
— Tu veux dire que toi-même, tu ne sais pas pourquoi… ?
Amivy hésita. Puis, lentement, elle commença à parler.
Le jour où tout a basculé
— J’avais cinq ans.
À cette époque, sa famille vivait dans une ville du sud-est du pays. Elle avait des cheveux. Beaucoup de cheveux.
« Edakpon ». C’était ainsi qu’on la surnommait. Ce qui signifie « crinière de lion ».
Ses cheveux descendaient jusqu’au milieu de son dos, épais, noirs, brillants. Sa fierté.
Jusqu’à ce jour fatidique.
Elle était allée au marché avec sa mère. Un marché bondé, bruyant, où les odeurs de poisson séché et d’épices flottaient dans l’air.
Les regards s’étaient posés sur elle. Comme toujours.
Mais cette fois-ci, une femme s’approcha.
Une inconnue, au regard perçant.
— Bonjour madame. Votre fille a des cheveux magnifiques. Ce sont bien les siens ?
Avant même que sa mère ne puisse répondre, la femme tendit la main et plongea ses doigts dans la chevelure d’Amivy.
Elle caressa, palpa, tira légèrement. Comme si elle voulait s’assurer qu’ils étaient réels.
Le contact fit frissonner la fillette. Un malaise étrange s’empara d’elle.
Sa mère, choquée par l’audace de l’inconnue, la repoussa doucement et quitta précipitamment le marché.
Mais cette nuit-là, Amivy fut prise d’une douleur insoutenable.
Un mal de tête atroce, comme si son crâne était compressé dans un étau.
Les médicaments n’y firent rien.
Les guérisseurs du village tentèrent des infusions, des lavages, des prières.
Puis, lentement, la douleur s’atténua.
Mais quelque chose d’encore plus terrible se produisit.
Ses cheveux commencèrent à tomber.
Au début, quelques mèches. Puis, des touffes entières.
Jusqu’à ce que plus un seul cheveu ne reste sur sa tête.
Pas de cils. Ni sourcils. Aucun autre poil.
Depuis, plus rien n’a repoussé.
Elle était devenue la fille sans cheveux.
Un frisson parcourut Awa.
Elle ouvrit la bouche, puis la referma.
— Tu crois que… c’était un envoûtement ? chuchota-t-elle enfin.
Amivy haussa les épaules.
— Je n’ai jamais eu de réponse. Peut-être une malédiction. Peut-être une maladie rare.
Elle marqua une pause, avant d’ajouter :
— Mais au fond… est-ce que ça change quelque chose ?
Awa baissa les yeux.
Le vent souffla doucement entre elles.
Dans un pays où les mystères dépassent la raison, certaines choses resteront toujours inexplicables.
Plus d’histoires vecues comme celle-ci dans la rubrique Chroniques de El-Rissa.
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